Une situation paradoxale
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Tout le monde s'accorde à dire que la Maladie du Sommeil est une endémie
gravissime du fait :
- de son mode de transmission
;
-
des risques élevés pour toutes les classes sociales exposées
;
-
de sa léthalité élevée ;
-
du risque engendré par les traitements.
On sait aussi, et depuis longtemps, qu'un dépistage précoce est
indispensable pour éviter les atteintes neurologiques et les risques
liés au traitement tardif.
Enfin il est unaninement reconnu que pour lutter contre cette endémie
il faut, en plus du dépistage et du traitement, s'attaquer au vecteur.
Faire de la lutte intégrée en somme.
Or on constate aujourd'hui :
qu'à de rares exceptions près, les Programmes Nationaux de Lutte
contre la Trypanosomiase Humaine Africaine (PNLTHA) tiennent plus de l'organisation
fantôme que d'un outil de lutte performant.
qu'il est impossible d'avoir des statistiques exactes sur les prévalences
de cette endémie :
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que d'après ces chercheurs les prévalences paraissent globalement
baisser aujourd'hui. A titre d'exemple : il y a 10 ans, en Angola on recensait
plus de 8.000 malades chaque année ; ce nombre a diminué pour
passer à près de 500 en 2008 (avec plus de 84% de 2nde période).
qu'aucune campagne nationale de lutte intégrée n'est organisée
depuis les années 60. Seules ont été menées des
campagnes expérimentales pour tester les nouveaux outils mis au point
par la recherche et affiner les protocoles. A contrario, contre les trypanosomoses
animales des moyens colossaux sont investis pour associer la chimioprophylaxie,
le traitement ET la lutte antivectorielle.
En conséquence :
- sachant
que les campagnes de dépistage ne sont pas menées exhaustivement
;
- que le vecteur
n'est jamais inquiété ;
On sait que depuis les années 70, période
de la première vague de sècheresse, l'aire de répartition
du vecteur, de la mouche tsé-tsé s'est rétrécie
; les régions du Sahel en sont pratiquement indemnes à l'exception
des zones à la fois boisées et humides comme les galeries forestières
- quand l'homme ne les a pas détruites pour utiliser le bois, récolter
le feuillage pour le bétail ou les mettre en culture.
En Afrique de l'ouest, la forte croissance démographique et les accidents
climatiques ont dans le même temps engendré des mouvements de populations
du nord vers le sud, vers des terres encore cultivables. Dans les années
70 on a donc observé une remontée spectaculaire de la prévalence
de la Trypano tant en savane qu'en forêt. Mais cet afflux de migrants
a lui-même entraîné une dévastation rapide de la végétation
ombro-mésophile : certaines régions de forêt dense il y
a 30 ans sont aujourd'hui moins boisées qu'une savane soudanienne. Le
domaine des espèces de tsé-tsé qui y étaient acclimatées
s'est donc là aussi fortement rétréci. Les espèces
de glossines de savane ont gagné du terrain dans les zones méridionales
au dépend des espèces vectrices de la maladie. Ce fait peut en
partie expliquer la baisse du nombre de cas un peu partout en Afrique inter-tropicale.
Mais ...
Il ne faut pas oublier que l'espèce vectrice majeure de l'endémie
sommeilleuse, Glossina palpalis, a une formidable capacité d'adaptation.
Fin des années 60, début des années 70, elle était
aux portes de Bamako. Dans le milieu des années 70, elle était
dans Dakar. Depuis longtemps elle avait abandonné ses gîtes classiques
pour investir les lisières des villages y trouvant les meilleures conditions
de survie : de l'ombre, une certaine humidité et surtout des porcs qui
lui fournissaient sa ration de sang sans qu'elle ait à la chercher comme
ses "collègues" de savane.
La situation a continué d'évoluer dans le même sens : les
villes malgré leur extension continuent d'abriter des glossines. Ce fait
n'est pas exceptionnel en lui-même car cela avait déjà été
constaté, ce qui l'est en revanche c'est que la maladie se transmet dans
la ville, et en particulier dans les quartiers périphériques non
lotis où subsistent des gîtes potentiels. On a déjà
signalé des cas de maladie à Kinshasa ; l'alerte est donnée
à Abidjan. Ces glossines sont d'autant plus dangereuses qu'elles se situent
dans un contexte de fortes densités humaines.
Réduction de l'aire de répartition
des glossines, réduction apparente de la transmission !
Faut-il encore de la recherche ? Pourquoi s'intéresser encore à cette maladie "coloniale" ? |
Eh bien justement pour toutes les raisons qui viennent d'être exposées
plus haut.
En zone rurale, sur les fronts pionniers, sur les terres non encore mises en
valeur et où des migrants vont venir s'installer, la glossine va les
suivre de près (venant de gîtes où elle était installée
de tous temps).
En zone urbaine, l'adaptabilité de l'insecte fait courrir un risque encore
plus grand à la population car quand on connaît la difficulté
à prospecter de simples villages, on peut aisément imaginer la
complexité de la tâche dans les villes moyennes ou, pire, les capitales.
La glossine sera toujours là où que l'homme
aille et reprendra la transmission avec autant de facilité qu'entre 70
et 80. Va-t-on se décider à faire quelques chose ? Enfin ???
Ceux qui auront parcouru ce site, s'apercevront que depuis un siècle
beaucoup de choses ont été faites tant sur le plan parasitologique
que sur le plan entomologique. Même si toutes les techniques mises au
point pour identifier le trypanosome ou éliminer le vecteur sont loin
d'être parfaites, elles ont au moins le mérite d'exister. La panoplie
est si vaste qu'un expert a cru même bon de déclarer officiellement
"the toolbox is full" !!!! Même si la boîte à
outils est pleines, encore faut-il que ce soient de bons outils et surtout qu'on
les utilise correctement.
Sur le trypanosome
En parasitologie on dispose de plusieurs techniques
utilisables sur le terrain pour déceler le parasite même dans les
conditions difficile du terrain (CATT, mAECT, ...). Mais il est vrai qu'elles
ont des limites et que se multiplient les cas bizarres comme ces "malades"
chez lesquels on ne peut mettre en évidence le trypanosome (condition
sine qua non pour lancer le traitement) alors que tous les tests préalables
sont positifs ; ou bien ces porteurs de trypanosomes ne présentant aucun
des symptômes classiques.
La faute en revient-elle systématiquement aux techniques
? Ne peut-on imaginer que le trypanosome est seul responsable de ces aberrations
? Car il est certain que ce protozoaire est l'un des moins bien connu sur le
plan pathogénicité.
Mais ne peut-on aussi penser que la pathogénicité d'une souche
de trypanosome dépend du sujet humain lui-même ? D'une susceptilité,
ou une résistance, plus ou moins grande et d'origine génétique
?
Sur la glossine
On sait que la tsé-tsé transmet le trypanosome.
C'est déjà un point positif. En revanche, et curieusement depuis
que Bruce a découvert le cycle du parasite en 1911, on ignore tout des
détails : mais des détails qui peuvent avoir leur importance :
comme "toutes conditions étant égales, les individus d'une
espèce donnée ont-ils tous la même capacité vectorielle
?", "Certains individus sont-ils réfractaires à l'infection
?", "Une glossine infectée a-t-elle la même longévité
?". En fait cela reviendrait à savoir si, dans une espèce,
il y a homogénéité génétique ou bien s'il
existe des sous-populations aux caractéristiques différentes.
Dans le même ordre d'idées, toutes les glossines d'une même
espèce réagissent-elles de la même façon vis à
vis d'un piège ?
"Tuer la glossine ? C'est facile, j'ai
ma tapette à mouches" : réponse narquoise d'un haut responsable
après la présentation de l'objet d'une de mes missions, mission
demandée par le Mali à l'OCCGE pour protéger le chantier
du barrage de Manantali contre les glossines.
Eh bien non, la lutte non la tsé-tsé ce n'est pas
facile : il faut avoir la volonté de la faire. Sinon on a d'assez bons
outils ayant fait leurs preuves ici et là dans de gros foyers. En Afrique
de l'ouest et en Afrique centrale les chercheurs se sont employés à
trouver des solutions simples, peu onéreuses et inoffensives pour l'environnement,
des pièges ou des écrans peu compliqués à construire
et à installer, plus simples que ceux mis au point en Afrique anglophone
mais il est vrai que là-bas ce sont des espèces de savane. L'avantage
de ces derniers est qu'ils peuvent être associés à des appâts
olfactifs, ce qui manque cruellement pour les espèces dites riveraines,
vectrices des trypanosomes dans les deux premiers sous-continents.
Voilà encore un sujet de recherche dont les résultats apporteront
une amélioration notable au piégeage. Et si en plus on peut trouver
des tissus qui soient, à la fois, plus résistants, plus attractifs
et de meilleurs supports pour les insecticides dont on les imprègne ....
Sur les traitements
On peut qualifier la maladie du sommeil de maladie
orpheline : les humains atteints ne sont pas assez nombreux et surtout pas assez
solvables pour que l'industrie pharmaceutique se penche sur leur cas et cherche
de nouvelles moléculaes. Tout au plus pourra-t-on espèrer une
réduction des prix à titre philanthropique. Quand on pense qu'aujourd'hui
on utilise encore le Mélarsoprol lancé en 1949 par Friedheim !!!!
Les progrès vont plus vite pour l'asthénie sexuelle ou la lutte
contre l'excédent de cellulite !
Inutile donc d'espèrer une quelconque amélioration
dans cette voie. Hélas !
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Sur la caractérisation de l'environnement
Où habitent les populations humaines et comment
évoluent-elles dans l'environnement ? Où se trouve la glossine
? Où se transmet le parasite ? Pourquoi là et pas ailleurs ? Autant
de questions que se sont posées les différentes générations
de "Trypanologues" et auxquelles ils ont apporté des réponses
mais de façon ponctuelle, locale. Il faudrait aujourd'hui apporter une
réponse globale.
L'endémie se situe dans un contexte géographique, physique et
humain particulier qui devrait être de plus en plus "facile"
à caractériser grâce au développement de certains
outils :
- les Systèmes d'Information Géographique (SIG), dans lequel sont
intégrées les données géographiques, entomologiques
et épidémiologiques ;
- l'imagerie satellitaire, permettant de cartographier les acteurs du système
pathogène dans leur environnement.
Ces outils, utilisés dans le cadre d'une approche géographique,
permettraient de replacer la maladie dans son contexte humain et physique et
aideraient à l'identification les zones d'intervention prioritaire en
entomologie et parasitologie.
Tenir compte de la géographie humaine (localisation des populations,
jours de marchés, fêtes religieuses, état des pistes, etc.)
et physique (topographie, hydrographie, climat, etc.) d'une région permettrait
une meilleure organisation de la lutte avec une meilleure participation de la
population. Or aujourd'hui, seules quelques rares équipes scientifiques
prônent cette approche mais rien n'est fait en Afrique inter-tropicale
pour sa généralisation. Ce qui amène à parler de
l'utilisation des outils ...
Il est évident que les chercheurs n'ont pas pour
mission de mener les campagnes de lutte (dommage d'ailleurs !). Il faut donc
que cette tâche soit menée par les responsables nationaux de la
santé. Et c'est là que le bât blesse !
Pourtant les scientifiques ont tout expérimenté, testé
les protocoles les plus performants (en utilisant leurs outils). Mais rien ne
s'est passé. Les chercheurs ont été récompensés
par une ou deux publications, des remerciements parfois, mais n'ont jamais eu
le plaisir de voir leur propositions pleinement acceptées et mises en
chantier. Frustrant !
Mais comment convaincre un ministre de monter une campagne de lutte intégrée
(dépistage + traitement + lutte antivectorielle, je le rappelle) quand
trop de médecins ne perçoivent pas l'intérêt de
lutter contre le vecteur ? Que les ONG qui se préoccupent de l'endémie
sommeilleuse ne savent pas (ou ne veulent pas ?) utiliser le piégeage
?
Dans ces conditions, comment critiquer les paysans à qui on a distribué
quelques pièges ici ou là, sans programme bien coordonné,
de les utiliser pour en faire des chemises, des rideaux voire des épouvantails
?
Or, si nous avons pu démontrer que la lutte anti-vectorielle
ne peut se faire (et être bien faite) que grâce à la mobilisation
des communautés rurales, il reste de nombreux problèmes à
surmonter pour pérenniser cette action.
Il faut bien sûr, comme dit plus haut, avoir des leurres efficace dans
le temps pour ne pas surcharger le paysans de tâches répétitives.
Travail d'entomologiste.
Il faut aussi réussir à surmonter les croyances qui font de
la Trypano une malédiction lancée par un sorcier, oblitérant
complètement le rôle de la tsé-tsé dans la transmission
(ou alors, si la notion de vecteur est perçue c'est le sorcier a envoyé
la té-tsé ! Cette même tsé-tsé qui, d'après
les Gouro, viennent des bourgeons d'un jeune iroko). Messieurs les Sciences
humaines, voilà du travail !
Voilà quelques axes de recherche pour faire face aux nouveaux schémas épidémiologiques qui ne vont pas tarder à apparaître. Certaines recherches ont déjà commencé dans ce sens.Nos grands Anciens ont déblayé le terrain et avec peu de moyens ont fait des miracles. La génération suivante s'est appliquée à fournir les outils pour répondre aux questions que se posaient ces Anciens. Ils sont parvenus à faire quelques petites choses, mais, alors que d'énormes moyens sont disponibles, rien n'a été appliqué. Aux Jeunes maintenant d'améliorer outils et protocoles et de vaincre les réticences à les mettre en oeuvre de tous ces "grands" responsables.
Ils y sont bien parvenus contre les Trypanosomoses
animales ! Alors ???
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